Dans les communautés pratiquant le vodoun en Afrique de l’Ouest, principalement au Bénin et dans les régions frontalières du Togo, l’initiation représente bien plus qu’une simple cérémonie : elle marque une véritable renaissance de l’individu.
À travers un processus rituel complexe, la personne abandonne son ancienne identité pour renaître en tant que membre à part entière de la communauté spirituelle. Le cas d’Ama, documenté dans ces pages, nous offre un témoignage rare et précieux de cette transformation complète.
Les prémices de l’initiation
C’est le dernier jour où Ama (une disciple) est encore « l’esclave des dieux ». Aujourd’hui, elle sera initiée comme prêtresse de la divinité de l’eau Mami Wata. La nuit précédente marque la fin de sa dernière année de formation comme prêtresse, période durant laquelle elle a été préparée spirituellement et rituellement. À sa droite, deux statues représentent les jumeaux défunts de sa famille, dont elle devra prendre soin et qui, en contrepartie, lui apporteront leur protection.
L’initiation occupe une place cruciale dans la pratique du vodoun. Elle représente une cassure dans la vie de l’initié, visant à un changement radical de personnalité et à l’établissement d’un lien étroit entre l’humain, le divin et les puissances spirituelles.
Le rituel de préparation
Pour son jour de fête, Ama est habillée comme une princesse. On la coiffe d’une perruque ornée de perles de verre et de porcelaine. On peint des traits blancs sur son torse, ses bras et ses jambes, puis on place une couronne sur sa tête, rappelant l’aspect européen de Mami Wata, la divinité à laquelle elle est consacrée.
Durant cette phase préparatoire, Ama reçoit la consécration du prêtre. Un cortège se forme ensuite pour se rendre au lieu de la cérémonie. Le lieu de la danse est couvert d’une natte sur laquelle a été posé un tabouret peint en blanc, commandé spécifiquement pour cette occasion.
La transformation corporelle et spirituelle
Les peintures corporelles constituent un élément majeur du rituel d’initiation. Sur le corps de la femme, on peint les taches de Sakpata (dieu de la variole), ainsi que les lignes ondulantes et les pointillés colorés de Dan (dieu du serpent). Cette application de motifs sacrés n’est pas simplement décorative : elle incarne littéralement la présence des divinités qui prennent possession du corps de l’initiée.
Le rituel se poursuit avec des ablutions rituelles sacrées. Des substances symboliques sont utilisées : le sang d’un canard sacrifié est versé sur la tête de la femme. Couverte de sang, d’œufs, de lait condensé et de soda, l’initiée tombe en transe. Elle dansera dans cet état pour chaque culte auquel elle est liée.
La purification et la renaissance
Après ces rituels intenses, une ablution enlève les traces des vodou et les restes des libations qui leur ont été offertes. Désormais, la femme est à nouveau pure. Elle est alors enduite d’une peinture blanche et parée de perles, symboles de sa nouvelle pureté et de sa renaissance en tant qu' »épouse des dieux ».
La tête baissée, la novice s’assoit sur la natte cérémonielle. Ce geste d’humilité marque sa transition vers son nouveau statut. La cérémonie continue avec la formation d’un cortège où la prêtresse et ses assistantes précèdent la novice et les adeptes du culte qui font leur entrée sur le lieu de la cérémonie.
Le rôle du prêtre et la consultation divine
Le prêtre Mahounou Koudjega joue un rôle central dans la cérémonie. Il consulte l’oracle pour savoir si quelque chose s’oppose à l’organisation de la cérémonie destinée à initier une adepte de Legba, à Koudjoubohoué, à la frontière du Togo et du Bénin. Pour communiquer avec les esprits, il touche de sa langue la corne de buffle dans laquelle se trouve sa « médecine », art qui est censé protéger la novice.
Les sacrifices et offrandes
Les sacrifices d’animaux constituent une part essentielle du rituel. Le sang du canard sacrifié versé sur la tête de l’initiée crée un lien direct entre elle et la divinité. Plus tard dans la cérémonie, une chèvre est également sacrifiée pour nourrir les dieux. L’autel est inondé du sang de l’animal sacrifié, nourriture essentielle pour les divinités invoquées.
Une fois la nuit tombée, le prêtre se rend avec plusieurs assistants auprès des statues de Legba, érigées à la lisière du village et de la brousse, pour informer le dieu du rituel qui aura lieu. À cette occasion, on nourrit la divinité avec un poulet, de la bouillie de maïs, de l’huile de palme et un peu d’eau-de-vie, inaugurant ainsi le rituel au cours duquel la novice deviendra membre à part entière de la communauté du culte.
Les implications financières et sociales
Une telle fête d’initiation entraîne des frais considérables. Rares sont les néophytes qui réussissent à réunir seuls les fonds nécessaires. Généralement, ils sont contraints de demander l’aide de leurs parents et de leurs proches, qui doivent souvent faire face à d’autres dépenses jugées prioritaires, comme celles liées aux funérailles d’un ancien.
C’est pourquoi il arrive fréquemment qu’on reporte l’initiation. Une fois le financement assuré et qu’un prêtre a été chargé de l’initiation, la date de la cérémonie finale est fixée. Le néophyte reçoit alors du prêtre une liste de dons sacrificiels et d’accessoires qu’il devra fournir pour la fête.
La célébration communautaire
Il est indispensable que tous les groupes cultuels des alentours et leurs prêtres puissent être invités et nourris pendant une nuit et une journée. Le prêtre qui dirige la cérémonie s’attend à être bien payé, et il faut en même temps offrir des cadeaux et de l’argent aux musiciens et aux notables invités.
Souvent, la cérémonie a lieu le week-end : elle commence le samedi en fin d’après-midi, se prolonge pendant toute la nuit et prend fin le dimanche soir, après la tombée de la nuit. Comme pour tout rituel, un sacrifice offert à Legba inaugure l’initiation.
La signification profonde de l’initiation
Le détachement du néophyte de son ancien milieu social et son entrée dans la consécration du culte ont pour conséquence d’effacer en quelque sorte son ancienne personnalité. Le néophyte subit une mort symbolique dont il renaît au moment de la fête finale. Ces cérémonies liées à la renaissance spirituelle sont d’une importance capitale dans la mesure où elles constituent, à l’exception des fêtes annuelles, les seules occasions pour lesquelles les membres du culte se réunissent régulièrement.
Le rituel met un terme à la réclusion des novices et les fait « ressusciter en tant que nouveau-nés ». Ce temps fort de l’initiation exige une célébration appropriée qui marque définitivement l’intégration de l’initié dans la communauté spirituelle et son alliance avec les divinités du panthéon vodoun.
Conclusion
Les rituels d’initiation vodoun, comme celui d’Ama, représentent bien plus qu’une simple transmission de connaissances ou une entrée dans un groupe religieux. Ils incarnent une transformation ontologique complète, où l’individu meurt symboliquement à son ancienne vie pour renaître en tant qu’être nouveau, intimement lié aux forces spirituelles qui gouvernent le monde selon la cosmogonie vodoun.
À travers les peintures corporelles, les sacrifices, les transes et les ablutions rituelles, le novice est littéralement recréé et remodelé pour devenir un réceptacle des puissances divines. Cette métamorphose spirituelle s’inscrit dans un cadre communautaire fort, où l’ensemble du groupe participe à cette naissance d’un nouveau membre pleinement intégré aux réseaux complexes reliant les humains, les divinités et les ancêtres.